Irène Magnaudeix
Le vignoble sisteronais
Sisteron au temps de la peste (3)
lundi 22 février 2010
Où l’on entend que l’important vignoble de Sisteron, pratiquement disparu au cours du 19e siècle, faisait l’objet d’une taxe appelée « rêve » cédée aux enchères à la communauté...
Ce vignoble, de moins bonne venue que celui des Mées mais apprécié localement, occupait un espace non négligeable dans le terroir de la ville.
On reconnaît encore ses traces dans le paysage, les cabanons où l’on entreposait les raisins en constituent autant de jalons. Les parcelles viticoles dont les terrasses en murets de pierres sèches ont généralement croulé, sont établies à Montgervy, Montuery, à Saint-Pierre, au Plan des Tines et Chaterusse, aux Oulettes, à Paresous, la Peyrouse, en Eigean, au Claux, à Sarrabosc, à Ste-Euphémie, au Plan de la Baume, à l’Hubac de la Baume, à Durancette, au Virail, au Mardaric, à Beaudouse et Aquo de Catin, à Baume Sauve, etc.
La communauté salarie, en saison, un « garde-vignes » chargé de veiller aux grains lorsqu’ils sont près de mûrir. Elle se doit également, chaque année avant la vendange, de parcourir le vignoble pour faire l’estime du prix de vente du vin, qui varie bien sûr chaque année en fonction de la récolte, celle de 1722, qui ne fut « pas beaucoup abondante » d’après la délibération du 13 octobre 1722 [1], coûta 5 livres 10 sols la charge composée de deux quintaux. Les raisins, une fois vendangés, sont le plus souvent déposés dans les bastidons (les cabanons de l’époque) érigés à l’angle des parcelles. Les bêtes de somme les transportent ensuite jusqu’aux caves de la ville, vers les « tines », ces fameuses « cuves de pierre » ou « fouloirs à raisins » que l’on rencontre dans les textes notariés. On les y déverse soit par un soupirail soit par une trappe ouverte dans le plancher du rez-de chaussée des habitations.
Ils y sont foulés aux pieds puis le vin y fermente. On le tire ensuite pour le mettre en tonneaux. Une « ferme du vin » (c’est-à-dire une taxe appelée « rêve ») est établie par la communauté sur les particuliers qui vendent leur vin, excepté celui qui se vend en gros aux étrangers. Cette ferme, cédée aux enchères comme elles le sont toutes rapporte, en 1721, 6 050 livres à la communauté. Le fermier a le droit de visiter les caves des hôtes et cabaretiers « touttes les fois que bon luy semblera sans abus [2] » pour vérifier que la taxe a bien été payée. En sont dispensés les religieux (l’évêque, les chanoines de l’église et ceux de Chardavon, les moines de Saint-Dominique, les religieuses de Sainte-Claire et de Sainte-Ursule) mais aussi le gouverneur de la citadelle et les recteurs des pauvres de l’hôpital. Il ne se paie pas de taxe sur le vin étranger, « non plus que du cuit de liqueur quy entrera et sera vandeu en cette ville à la grand mesure ».
Tout le monde boit du vin ou de la piquette. Le règlement établi le 19 décembre 1661 par la Cour des Comptes indique qu’il convient de boire, pour les femmes, filles et servantes de plus de 18 ans, 16 pots par mois, et 10 pots « pour les enfans et filles depuis 6 ans jusqu’à 18 [3] ». Le livre cadastral de 1724 [4] compte six tonneliers possédant biens dans la ville de Sisteron.
On trouve de la vigne en ville, dans l’enclos des religieuses de Sainte-Claire qui joint leur monastère. Il s’agit de vigne « en allées » c’est-à-dire d’alignements de ceps séparés par des fruitiers mais aussi des « autins », c’est-à-dire des treilles que l’on fait croître dans ces arbres. Le tout fait 1 122 canes (4 ha et demi environ) [5].
Il est interdit aux Sisteronais d’acheter du vin ou des raisins « étrangers » (c’est-à-dire d’une provenance autre que de son terroir) avant que le local n’ait été consommé, d’où les multiples amendes et procès qui en résultent [6]. Ainsi, le 19 décembre 1356, la « condamnation à une amende de 25 sous portée par la juge de la Cour Royale de Sisteron contre noble Jacques Gaufridi pour avoir introduit dans la ville deux barils de vin qu’il apportait de Lurs [7] », mais aussi l’aventure des frères Maximin de Venterol qui, en 1742, se font prendre, dans l’auberge de Jacques Pascal de la Baume, avec dix outres de vin rouge chargées sur cinq mulets. Ils diront vouloir les vendre au cantinier de la citadelle et que, s’il les refuse, ils les porteront à Saint-Geniez [8].
Considérant que les Maximins, hommes peu recommandables, mènent « une vie errante et vagabonde […] depuis l’arrest de bannissement contre eux rendu par la souveraine cour de Parlement de cette province », ces hommes seront condamnés à la confiscation des outres que l’on brûlera sur la place près du marché après en avoir répandu le vin au sol « à la manière acoustumée ».
Si vous souhaitez en savoir plus, consultez la fiche du livre d’Irène Magnaudeix, Et en cas de peste, ce qu’à Dieu ne plaise... Chronique d’une ville close. Sisteron (1719-1723).
Notes
[1] (A. M. de Sisteron, BB 182, f° 341v°).
[2] (A. M. de Sisteron, BB 181).
[3] Ibidem. Les doses augmentent en mars 1721 : « à lesgard des hommes quy sont depuis dix huit ans et au dessus, trante deux pots par mois ; aux femmes filles et servantes depuis ledit age saise pots ; aux enfants et filles depuis six ans jusques à dix et huit dix pots, le tout par mois » (A. M. de Sisteron, BB 182, f° 231 sq., arrantement de la ferme du vin).
[4] (A. M. de Sisteron, CC 218 & 219).
[5] (A. M. de Sisteron, CC 218, f° 271).
[6] Le premier document qui nous soit parvenu à propos de cette « rêve du vin » est un parchemin daté du 21 mai 1387. Noble Jean Bababoyssi a acquis de la communauté la barre du vin (nom de la rêve à cette période) pour une année.
[7] Document porté dans l’inventaire des archives mais indiqué comme manquant. Un grand nombre de liasses ont ainsi disparu entre le moment où se fit l’inventaire (28 février 1859) et 1990. (A. M. de Sisteron, AA 121).
[8] Délibération du conseil de ville du 6 janvier 1742 (A. M. de Sisteron, BB 186, f° 197).