Pierre Coste
La barre
Itinéraires géologiques (5)
samedi 9 janvier 2010
C’est un excursus qui ne sera pas dans le livre de Gabriel Conte. Trop hasardeux d’y envoyer les gens. Pourtant il permet une approche intéressante de la barre de calcaire miocène, si importante dans les paysages du pays de Forcalquier. Quand vous empruntez le viaduc, c’est la barre qui a été tranchée par le ravin du Viou (et qui dans le même mouvement ceinture comme des carènes les lotissements du Croupatas et de la Beaudine : regardez sur Géoportail, c’est fascinant). C’est elle ensuite que la Laye traverse en entonnoir (Beauchamp et les Eyroussiès d’un côté, Châteauneuf de l’autre) ; c’est elle qui domine le ravin de l’Été, qui encadre la Rimourelle, le Répétier, le Reculon, qui porte le village de Lincel (et on peut continuer jusqu’à Reillanne, Céreste, Viens…).
Le franchissement de la barre par l’ex-nationale 100 au bord ouest du plateau des Craux d’Ardène – vous savez, le grand virage qui va ensuite chercher un pont au fond du vallon du Reculon, puis remonte à la Bégude de Lincel –, offre une coupe magnifique de la barre, mais inexploitable : c’est ou vous (fragile piéton), ou les camions. D’un côté, le rocher, de l’autre le parapet de béton et l’à-pic. Aucun cheminement…
Je m’étais donc dit : en remontant plus haut dans le vallon… Depuis la route D 105 (entre Saint-Michel et la Bégude), j’avais repéré des parties en falaise. J’y suis allé avec de bonnes chaussures, la carte au 1:25 000, l’appareil photo, mon fidèle cahier, et maintenant (progrès…) le voicetracer, à qui on peut causer, au lieu d’écrire… Je transcris :
« Plus haut sur ce rebord occidental du plateau, deux abrupts permettent de retrouver sensiblement les mêmes éléments géologiques et avec comme intérêt supplémentaire l’utilisation qui en a été faite. On peut y accéder en partant de la D 105. On laisse sa voiture sur un terre-plein appelé « décharge interdite », et on essaye de retrouver le chemin qui descend en deux virages serrés dans le vallon, très frais, agréable, une vraie ripisylve. On remonte sur l’autre versant, en traversée – le chemin passe au milieu de terrasses de cultures soutenues par des murs de pierre sèche, aujourd’hui reconquises par la chênaie blanche, mais qui devaient servir il y a encore cent ans. Lorsque le chemin va atteindre le plateau, on est en vue, à droite et à gauche, de deux abrupts de la barre. Ils ont les mêmes caractères : la partie inférieure de la barre, sur bien deux mètres de hauteur, a reculé. Avec ses strates obliques, en fuseaux, elle marque la phase de sédimentation au fond d’une mer que traversaient des courants, et a moins bien résisté au gel, à l’érosion. La partie supérieure au contraire, dalle épaisse, homogène, compacte, domine, déborde même. Certains de ces débordements ont été aménagés en abris sous roche, et on devine au bon état des murets de pierre qui les cantonnent, à la paille, aux traces de feux, qu’ils continuent à être fréquentés, ne serait-ce que le temps d’une pause de midi ou d’une pluie d’automne – chasseurs, randonneurs… Au-dessus de la dalle, les ultimes décimètres de calcaire, qui correspondent à une phase terminale de la mer miocène, sont fortement lités. Sur le plateau, ce sont eux qui fournissent les énormes pierriers constitués par les paysans-défricheurs et les murs de pierre sèche. Sur le versant, c’est avec ces pierrailles du niveau terminal et les blocs issus du niveau des fuseaux qu’ont été construits les terrasses, et les petits enclos des abris. On voit du coup que chacun des niveaux géologiques de la barre a été mis en valeur par les hommes. »
Voilà. Je m’étais promis de faire cinq chroniques autour de la préparation de ce livre de Gabriel Conte. Hier je lui ai apporté les 75 premières pages montées, avec les illustrations – soit la moitié de l’ouvrage – et lui de son côté avait annoté la version précédente, vérifié encore, fait deux croquis prévus mais non encore dessinés. Je vous annoncerai quand le livre sortira : ça s’approche, maintenant.
Lincel, vallon du Reculon, 3 octobre 2009 ; Saint-Michel l’Observatoire, La Bonnechère, 8 janvier 2010.
Consultez la fiche du livre de Gabriel Conte, Le Pays de Forcalquier : son lac, sa mer.