Maurice Mistre
Attaquons ! Attaquons... comme la lune.
Les renseignements au 15e corps en août 1914
mardi 3 novembre 2009
Un passionné du 15e corps s’interroge souvent sur les renseignements qu’avaient les fantassins à la veille du combat de Dieuze. Quid des reconnaissances des cavaliers et des aviateurs ?
Beaucoup connaissent tout de l’échec de la bataille de Lorraine. En vrac et généralement :
Une mystique inepte d’offensive à outrance, « Attaquons ! Attaquons… comme la lune. »
Une impréparation stratégique et tactique.
Des incompétences notoires, opérationnelles et intellectuelles, du président de la République Poincaré au commandant de la IIe armée Castelnau, en passant par le ministre de la guerre Messimy et le commandant en chef Joffre.
Banalités, truismes, disons-nous !
Il existe dans les plis de cette histoire, nombre d’explications plus probantes, plus concrètes mais méconnues ou oubliées. Prenons, par exemple, les renseignements.
Sur le terrain, hormis le contact avec la population, ceux-ci sont assurés par la cavalerie (6e hussards) et en l’air par l’aviation balbutiante (voir l’article sur les aéroplanes).
Les aviateurs
Les Farman de Villers les Nancy étaient en l’air et à moins d’être myope, ils ont vu les positions allemandes. Quelles utilisations ont été faites de ces observations ?
Le 11 août après le combat de Lagarde, en pleine déroute à Parroy, à midi un aviateur demande un cheval pour rechercher le général Lescot pour l’informer d’arrêter la charge !
Le 14, un colonel, adjoint de Foch traite les aviateurs chargés de reconnaissance, de farceurs : « Nous sommes fixés au 20e CA sur ce que valent les renseignements des aviateurs. »
Dans la journée du 18, les pilotes constatent devant la IIe armée, l’existence d’une artillerie nombreuse en attente derrière des épaulements, des lignes de tranchées, des abattis dans les bois, des réserves dissimulées ; le tout donnant l’impression d’un piège tendu à notre armée. Qu’a-t-on fait de ces renseignements ?
Le désir d’en découdre par affrontement massif et face à face cher à Grandmaison, chantre de l’attaque à outrance, « n’oublions pas que la condition suprême et primordiale de l’unité de doctrine tactique, gage de succès, c’est l’unanimité dans le violent désir de se battre » [1] avait peut être aveuglé ces doctes stratèges.
Les cavaliers
Chargés d’éclairer l’avancée, ils sont d’une clarté vacillante !
Le 14 août, le 6e hussards signale le bois du Haut de la Croix comme fortement occupé par l’ennemi. Les 3e et 141e attaqueront quand même, plan XVII oblige !
Le 16 août, un capitaine, agent de liaison de la IIe armée auprès du 15e CA, assure à Espinasse qu’il n’a rien devant lui. Mais le 18 août, une reconnaissance d’un demi-escadron envoyée vers Dieuze, révèle de forts retranchements ennemis dans la région Bidestroff-Bassing-Vergaville. Castelnau décrète « L’ennemi cède devant nous ; en particulier il a abandonné Sarrebourg et Château-Salins. Dans l’intérêt général il faut le poursuivre avec toute la vigueur et la rapidité possibles. » et à 21h30 de Gelucourt, ordre est donné à la 29e DI : « Quelques détachements ennemis signalés aujourd’hui à Vergaville et Bidestroff ; des batteries peuvent se trouver dans la région de Bidestroff et Domnon »
Le 19, à 22h, le colonel du 6e hussards, rentrant de reconnaissance, annonce que ses patrouilles qui ont opéré à plusieurs kilomètres au-delà de Bidestroff ont trouvé nulle trace de l’ennemi.
Et le lendemain matin, on sait la contre-attaque allemande et à 7h30, un éclaireur au 173e RI, raconte : « Pas de cartes ! … Retour auprès du colonel qui nous dit : « Allez voir s’il y a des Prussiens dans le bois », nous y allons, on nous tire dessus… Nous croisons l’ordonnance d’un capitaine qui nous dit : "N’avancez plus, vous allez vous faire massacrer ! C’est plein de Prussiens dans le bois". Nous tournons bride avec l’ordonnance et apportons ces renseignements au colonel. »
Malgré tous ces renseignements et nonobstant ceux de la population qui mettait en garde les Provençaux, ils fonceront dans le traquenard de Dieuze quand même !
Maurice Mistre
Auteur de La légende noire du 15e corps. L’honneur volé des Provençaux par le feu et l’insulte.
Notes
[1] Conférence de Castelnau fin 1910 au centre des hautes études militaires.