Pierre Coste
Fêter la République
lundi 25 avril 2011
La première édition, en 1994, du livre de Gisèle Roche-Galopini, Saint-Étienne-les-Orgues et la gloire de la Montagne fut lu, avec attention, rappela aux plus vigilants qu’on s’approchait des 150 ans de l’insurrection de décembre 1851, et la mémoire ravivée donna naissance, en 1997, à l’association 1851-2001.
Dans la première édition, de 1994 (comme dans la présente au demeurant), Gisèle Roche-Galopini souhaitait que son livre (Saint-Étienne-les-Orgues et la gloire de la Montagne) contribue à « raviver la mémoire gavote ». Le livre fut lu, avec attention, rappela aux plus vigilants qu’on s’approchait des 150 ans de ce 2 décembre 1851, et la mémoire ravivée donna naissance, en 1997, à l’association 1851-2001 pour le 150 e anniversaire de la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851. Objet : préparer cet anniversaire, en faire un temps fort où historiens, républicains, descendants des insurgés, et toute personne prenant conscience que ce coup d’État n’avait été ni anodin ni fortuit, se retrouveraient, échangeraient recherches, témoignages, questionnements.
Le siège de l’association fut fixé aux Mées, dans la vallée de la Durance, un des hauts lieux de l’insurrection bas-alpine et de sa confrontation avec les forces « de l’ordre », et les premiers membres de l’association se vivaient comme Bas-Alpins, ou Varois, Marseillais peut-être, Provençaux, mais pas au-delà. Mais bien vite les actions de l’association, le bulletin, les premières journées d’études, les échanges entre chercheurs, bientôt le site sur la Toile, mirent en lumière que le coup d’État du 2 décembre 1851 avait été vécu avec colère et révolte dans bien d’autres régions de France – ce qu’Eugène Ténot au demeurant, dès 1865, dans son Étude historique du coup d’État : La province en décembre 1851, avait déjà largement révélé.
Mais un effet pervers de la répression des insurgés de 1851, dénonciations, arrestations,mesures administratives et procès, déportations, était que, malgré leur réhabilitation solennelle la République revenue, les ancêtres insurgés étaient restés dans chaque famille un souvenir à usage interne, autour duquel on était à la fois fier et réservé. Quelque part leur condamnation, même injuste, s’était faite dans l’opprobre (voir p. 145 à 153 la façon dont les insurgés de Saint-Étienne sont qualifiés dans les décisions des commissions de répression – et dans les autres communes on retrouve les même jugements, lourds du mépris que des personnes ayant choisi le camp du pouvoir ont pour des gens modestes). Quelque part les familles des insurgés enfermés, expédiés en Algérie, en avaient durement souffert, affectivement, socialement, mais aussi matériellement. Un des grands mérites de l’association a été de dire que cette douleur avait été le lot de beaucoup et de faire en sorte que la fierté de chaque famille soit partagée, fêtée collectivement.
Car au cours de l’année 2001, ce sont bien des fêtes qui ont précédé et accompagné l’anniversaire, avec une grande invention d’équipes locales investies dans des pièces de théâtre, des banquets républicains, des défilés, des films et vidéos, des poses de plaques… L’anniversaire passé, trop de choses étaient engagées, continuaient à mûrir, pour que l’association en reste là. Sans attendre 2051 elle a donc élargi son champ de travail à la mémoire de l’ensemble des résistances républicaines.
Je voudrais ajouter une considération plus personnelle sur le travail éditorial que fait l’association 1851 : le bulletin, qui depuis treize ans tient sa périodicité avec un contenu de qualité, les livres édités – celui-ci, coédité avec nos éditions C’est-à-dire, est le 12e de leur catalogue –, le site www.1851.fr et sa richesse foisonnante, – des centaines d’articles, bientôt trente livres anciens en version numérique…
Voilà bientôt cinquante ans que je mets mes mains dans l’encre (et mes mots dans le contenu) de l’édition associative (depuis les polycop d’histoire de la corpo Unef d’Aix, un journal de quartier et des magazines alternatifs de Marseille des années soixante-dix, jusqu’à ce qu’elle devienne mon métier et le coeur du savoir-faire de l’atelier C’est-à-dire). Et ce que je constate chaque fois, c’est que si l’association a un vrai projet éditorial, si elle veille à mettre méthode et rigueur dans l’élaboration et la mise en forme du contenu, elle est, sur des sujets pointus (thématiques, géographiques, artistiques), mieux placée que quiconque pour donner des lecteurs à des livres ou des revues, et, au-delà de productions dispersées, constituer un vrai catalogue qui durera. La faiblesse congénitale d’un petit éditeur indépendant – la diffusion –, l’association en est moins atteinte puisque le premier cercle de ses lecteurs est constituée par ses adhérents. Le régime non-lucratif de la loi de 1901 lui convient puisqu’elle ne fait pas de ses livres une affaire d’argent et s’appuie largement sur le bénévolat de ses membres.
Dans le vaste champ de l’édition, les associations ont leur place. Encore une fois : si elles font un travail de qualité. Ce qui est le cas de 1851.
Pierre Coste
Vous pouvez commander ici le livre de Gisèle Roche Galopini, Saint-Étienne-les-Orgues et la gloire de la Montagne.
Illustration :
Passage de la lettre du sous-préfet de Forcalquier au préfet des Basses-Alpes le 14 janvier 1850, inquiet des propos tenus lors d’une fête de mariage par André Ailhaud, le chef des républicains des Basses-Alpes : « Ne craignez rien, leur aurait-il dit, si l’on vous met en prison, si l’on vous jette dans les bagnes, ce sera plus tard votre titre de gloire. »